14/02/2020
  • Rectifications postérieures à l’émission du PR:

 

CAA de VERSAILLES – 23/04/2019 – n° 17VE02198 – SAS DHL HOLDING France

« 4.Dans le cas où la vérification de comptabilité d’une entreprise a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l’a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, c’est au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu’il ait eu la possibilité d’avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat. Lorsqu’après la fin des opérations de contrôle sur place, le vérificateur obtient des pièces nouvelles, celles-ci sont présumées ne pas avoir fait l’objet d’un débat oral et contradictoire, sauf preuve contraire rapportée par l’administration. L’absence de débat, dans une telle hypothèse, n’est en principe pas de nature à affecter la régularité de la procédure d’imposition, sauf s’il apparaît que les pièces recueillies après la fin des opérations de vérification, en raison de leur teneur, de leur portée et de l’usage qui en a été fait par l’administration, impliquaient la réouverture du débat oral et contradictoire sur la comptabilité de l’entreprise. »

 

Commentaire :

En premier lieu, s’agissant de l’interdiction de vérifier deux fois le même exercice, il faut justifier que le rehaussement appliqué découle d’une poursuite des opérations de vérifications et notamment de la confrontation de la déclaration de CIR à la comptabilité de la société.

Cette situation peut être rencontrée lorsque le service vérificateur adresse une proposition de rectification interruptive de prescription tout en poursuivant les opérations de vérifications ultérieurement. Cet arrêt rappelle également qu’une entreprise peut recevoir dans le délai de répétition (c’est-à-dire le délai de 3 ans dont dispose l’administration à compter de l’émission de la proposition de rectification pour émettre de nouveaux rehaussements) des rectifications complémentaires. Celles-ci ne seront recevables que dans l’hypothèse où elles découlent d’un contrôle sur pièces (exemple : réception d’un rapport du MESRI négatif après validation totale ou partielle du CIR dans le cadre de la proposition de rectifications)

 

  • Absence de délai de réponse de 30 jours suite à un rejet de réclamation et substitution de motifs:

 

CAA de NANCY – 11/04/2019 – n°17NC03047 – SARL Global Internet Solutions Network

« 2.En premier lieu, aux termes de l’article L. 11 du livre des procédures fiscales :  » A moins qu’un délai plus long ne soit prévu par le présent livre, le délai accordé aux contribuables pour répondre aux demandes de renseignements, de justifications ou d’éclaircissements et, d’une manière générale, à toute notification émanant d’un agent de l’administration des impôts est fixé à trente jours à compter de la réception de cette notification « .3.[…] Dans sa proposition de rectification du 11 octobre 2013, l’administration a remis en cause la déduction de ces amortissements de la base du crédit d’impôt recherche notamment au motif que les contrats de crédit-bail étaient fictifs. La société requérante relève que, dans sa décision de rejet du 23 mars 2015, l’administration a justifié cette exclusion au motif que ces matériels étaient inscrits dans la comptabilité de la société en stocks et non en immobilisations, sans la mettre en mesure de produire des observations. La SARL Global Internet Solutions Network soutient qu’en changeant ainsi de motif, l’administration a méconnu les dispositions de l’article L. 11 du livre des procédures fiscales. Un tel moyen ne peut qu’être écarté comme inopérant, dès lors, d’une part que la décision de rejet ne peut être regardée comme l’une des demandes visées à l’article L. 11 du livre des procédures fiscales, pour lesquelles un délai de réponse de trente jours au minimum est prescrit, et, d’autre part, que les vices qui peuvent entacher la décision prise à l’issue de l’instruction de la réclamation d’un contribuable sont sans incidence sur la régularité de la procédure d’établissement des impositions contestées. Enfin, si la SARL Global Internet Solutions Network a entendu soutenir que l’administration ne pouvait procéder à une substitution de motifs dans sa décision de rejet du 23 mars 2015, un tel moyen ne peut qu’être écarté dès lors que cette substitution, à laquelle pouvait régulièrement procéder l’administration, n’a pas pour effet de la priver des garanties de procédure prévues par la loi. »

Commentaire :

 

En premier lieu, les juges rappellent que les décisions de rejet de réclamations contentieuses n’obéissent pas au délai de 30 jours concernant les réponses aux demandes d’informations complémentaires, d’éclaircissements ou de justifications telles que visées à l’article L 11 du livre des procédures fiscales. La suite de la procédure implique la saisine directe du Tribunal Administratif compétent.

En second lieu, cet arrêt indique que la substitution de motifs est possible par l’administration fiscale. Il faut entendre par substitution de motifs, le fait que l’administration puisse à tout moment de la procédure contentieuse jusqu’en appel, avancer un nouvel argument juridique, mais sans toutefois priver le contribuable de ses garanties de procédure.

  • Nécessité pour l’AF de démontrer l’absence d’envoi des déclarations CIR et absence d’obligation pour les sociétés de renouveler leur demande de remboursement en application de l’article 360 de l’annexe III du CGI:

 

CAA Paris, 6 Juin 2019, 18PA03443, Société Financière Lucia

« 5. La société Financière Lucia soutient toutefois qu’elle a adressé à l’administration fiscale, avant le 15 octobre 2010, la déclaration spéciale  » Crédit d’impôt en faveur de la recherche  » (imprimé 2069 A) datée du 11 octobre 2010 dont le dépôt est prévu par les dispositions de l’article 49 septies M de l’annexe III au code général des impôts citées au point 3 ci-dessus, qui était jointe au relevé de solde de l’impôt sur les sociétés qu’elle a déposé au titre de l’exercice clos le 30 juin 2010. Il résulte de l’instruction que sur ce relevé de solde, que l’administration ne conteste pas avoir reçu dès le mois d’octobre 2010, la société requérante a fait apparaître la somme de 141 096 euros correspondant au crédit d’impôt recherche dont elle estimait devoir bénéficier à la case ID-23, qui précise  » joindre l’imprimé 2069 A « . L’administration se borne à affirmer que cette déclaration spéciale n’était pas jointe au relevé de solde, sans faire état de démarches qu’elle aurait entreprises pour inviter la société requérante à régulariser sa déclaration. Dans ces conditions, la société requérante doit être regardée comme ayant déposé, le 15 octobre 2010, la déclaration spéciale  » Crédit d’impôt en faveur de la recherche  » (imprimé 2069 A), ce qui valait demande de remboursement immédiat du crédit d’impôt recherche. La société requérante n’était, contrairement à ce que soutient le ministre en défense, pas tenue de renouveler, avant le 31 décembre 2012, cette demande qui constituait une réclamation contentieuse. La société requérante est ainsi fondée à soutenir que l’administration ne pouvait rejeter comme tardive sa demande de remboursement de la somme de 141 096 euros en date du 15 octobre 2013 »

 

Commentaire :

 

La Cour administrative d’appel a relevé que l’administration n’avait adressé aucune demande de régularisation à la société, ce qui l’a conduit à déduire que l’administration n’avait mené aucune diligence pour obtenir le dépôt des déclarations.

Par ce raisonnement, les juges ont mis en avant le régime de la preuve objective applicable au CIR c’est-à-dire que lors d’un contentieux, chaque partie doit apporter des éléments de preuve, l’administration ne peut ni rejeter des éléments ni alléguer des faits sans apporter des éléments probants remettant en cause la position de la société.

Les juges précisent également que la mention du montant de CIR concerné dans le formulaire de relevé de solde matérialise la demande de remboursement. Bien qu’elle ait considéré au cas particulier que le délai de réclamation courait effectivement jusqu’au 31 décembre 2012, la Cour a jugé sur le fondement de l’article 360 de l’annexe III du CGI que la demande de remboursement avait été établie dans les temps car la société avait adressé son relevé de solde le 15 octobre 2010.

Cela signifie que seule la date du dépôt du relevé de solde reprenant le montant du CIR demandé doit être prise en compte pour déterminer si la demande de restitution a été faite dans les temps. Il est nécessaire de rappeler qu’auparavant les demandes de remboursement étaient toujours formulées par l’envoi du relevé de solde accompagné d’un courrier écrit demandant le remboursement. Depuis 2014, le formulaire 2573 matérialise les demandes de remboursement et se substitue donc au courrier écrit.

 

  • Usage du droit de communication par l’administration fiscale:

 

Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 24/04/2019, 414420

« 2.Aux termes de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales :  » L’administration est tenue d’informer le contribuable de la teneur et de l’origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s’est fondée pour établir l’imposition faisant l’objet de la proposition prévue au premier alinéa de l’article L. 57 ou de la notification prévue à l’article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande « . La méconnaissance, par l’administration, de l’obligation de communication prévue par ces dispositions affecte les impositions pour lesquelles elle a utilisé les renseignements et documents en cause, que ce soit pour conduire la procédure d’imposition ou pour déterminer le montant de l’impôt.

Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour a relevé que l’administration fiscale, saisie, sur le fondement de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales, d’une demande de communication des relevés bancaires du compte détenu auprès de la banque Scalbert et Dupont CIN, n’a communiqué aux requérants que le relevé correspondant au mois de janvier 2006 et non l’ensemble des relevés du premier semestre qu’elle avait obtenus de cette banque. Elle a jugé, par un motif non contesté par le ministre, que les contribuables avaient ainsi été privés de la possibilité de vérifier le contenu des documents et d’en discuter la teneur ou la portée et prononcé la décharge de la totalité des impositions mises à la charge de M. et Mme B…. En statuant ainsi, sans circonscrire les conséquences du manquement de l’administration à son obligation de communication aux impositions pour lesquelles elle a utilisé les renseignements et documents en cause, que ce soit pour conduire la procédure d’imposition ou pour déterminer le montant de l’impôt, la cour a commis une erreur de droit… »

 

Commentaire :

 

En vertu de l’article L 76 B du Livre des Procédures Fiscales, l’administration a l’obligation de transmettre au contribuable qui le souhaite et qui en fait la demande, tous les documents ou renseignements obtenus par des tiers, dès lors que ces informations et documents ont permis de conduire les contrôles, de déterminer le montant de l’impôt ou de fonder des rehaussements.

Néanmoins, le Conseil d’Etat émet une réserve sur les conséquences de ce manquement par l’administration : le défaut de communication par l’administration constitue un vice de procédure pouvant conduire à la décharge des impositions et des pénalités en faveur du contribuable uniquement pour les documents ou renseignements qui ont servi pour le réhaussement.

  • Remboursement CIR : Absence de délai imposé à l’administration pour l’étude d’une demande de remboursement :

 

Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 06/11/2019, 433682 – SODICO

« 6. La société Sodico soutient que les dispositions des articles 199 ter B du code général des impôts et celles des articles L. 190 et L. 169 du livre des procédures fiscales méconnaissent le principe d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, en tant qu’elles ne prévoient pas, en raison de l’inapplicabilité des dispositions de l’article L. 169 et de l’article L. 172 G du livre des procédures fiscales, de règle de prescription lorsque l’administration instruit une réclamation tendant à obtenir la restitution d’une créance de crédit d’impôt recherche. […] 9.Un contribuable qui fait l’objet d’une procédure de reprise décidée par l’administration ne se trouve pas dans la même situation qu’un autre contribuable qui demande la restitution d’une créance fiscale. En raison de cette différence de situation, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que les règles qui lui sont applicables quant à l’exercice par l’administration de ses pouvoirs de contrôle, en particulier l’absence de règle de prescription du droit de celle-ci de remettre en cause le montant de la créance dont elle demande le remboursement, seraient contraires au principe d’égalité. Par suite, le moyen selon lequel la différence de traitement résultant des dispositions mentionnées au point 6 ci-dessus constituerait une rupture d’égalité devant la loi et devant les charges publiques ne peut être regardé comme soulevant une question sérieuse. »

 

Commentaire :

Au cas particulier, la société avait fait l’objet d’un contrôle de sa demande de remboursement CIR hors délai de reprise. A ce titre, elle a demandé au Conseil d’Etat de juger inconstitutionnelle l’absence de délai de prescription dans le cadre du contrôle effectué par l’administration après une demande de remboursement. Le Conseil d’Etat n’a pas donné raison au contribuable en rappelant que la demande de remboursement CIR constitue une réclamation contentieuse différente de la procédure de reprise en matière de CIR qui permet à l’administration de vérifier la comptabilité de l’entreprise jusqu’au 31 décembre de la troisième année suivant celle du dépôt de la déclaration spéciale.

Cet arrêt rappelle l’importance pour le contribuable de garder toutes les traces de demandes effectuées par l’administration pendant un contrôle fiscal afin de pouvoir justifier que le CIR a déjà été vérifié afin d’éviter des discussions complémentaires avec l’administration lors d’une demande de remboursement par exemple.